Face à l’épidémie de la Covid-19 et à ses restrictions sanitaires, de nombreuses entreprises se sont trouvées dans l’impossibilité de répondre à leurs engagements contractuels (ex : paiement des loyers des immeubles qu’elles occupent).
Elles peuvent notamment solliciter la révision du contrat pour imprévision ou invoquer la force majeure.
La présente analyse sera consacrée à la révision pour imprévision.
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prise en application de l’article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a créé l’article 1195 du Code civil au chapitre IV sur les effets du contrat entre les parties (articles 1193 à 1198) dans la sous-section Force obligatoire.
La révision pour imprévision est définie à l’article 1195 du Code civil qui dispose que :
«Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.».
Il en ressort les 3 conditions cumulatives suivantes :
Les contrats de droit privé (en principe à exécution successive).
L’article L211-40-1 du Code monétaire et financier exclut de l’article 1195 du Code civil, les obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L211-1 dudit Code. Cela exclut notamment la cession d’actions.
En vertu de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 restent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.
La date de signature du contrat doit donc être vérifiée pour savoir si une renégociation de ce dernier est ou non possible.
La tendance jurisprudentielle a été d’exclure du champ d’application de cette ordonnance, les contrats conclus avant son entrée en vigueur. Pourtant certaines décisions de justice ont appliqué l’esprit de la réforme à des contrats antérieurs du fait de l’évolution du droit des obligations (à titre d’exemple : Com. 29 juin 2010, n°09-67.369, Com. 24 nov. 1998, n° 96-18.357, Com. 3 nov. 1992, n° 90-18.547).
L’article 1195 du Code civil s’applique si les parties n’en n’ont convenu autrement.
Cela suppose alors une exclusion commune des deux parties au contrat initial. En effet, l’article 1171 du Code civil dispose « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.».
Par ailleurs, si le contrat stipule une faculté d’invoquer l’imprévision uniquement réservée à une seule des parties, une contestation pourra être recevable sur le fondement des dispositions des articles L442-1, I, 2° et L442-1, I, 1° du Code de commerce pour certains contrats de 2019 sur la soumission à des obligations déséquilibrées et sur l’obtention d’un avantage excessif, du droit commun de l’article 1171 du Code civil pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 ou du droit de la consommation sur le fondement de l’article L212-1 du Code de la consommation.
Une phase de renégociation s’ouvre entre les parties. Le contrat se poursuit pendant la phase de renégociation : Autrement dit, la demande de renégociation n’opère pas un effet suspensif du contrat.
En cas de refus ou d’échec de la phase de renégociation, une partie pourra saisir le juge pour obtenir la résolution ou la révision du contrat, et pour en fixer les conditions.
Cette saisine pourra avoir lieu « A défaut d’accord dans un délai raisonnable ». C’est à ce moment-là que le Juge entre dans la sphère contractuelle ; c’est l’une des principales innovations de l’ordonnance du 10 février 2016.
Le juge pourra, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts (article 1228 du Code civil).
Une fois le Juge saisi, il conviendra d’attendre les délais judiciaires incompressibles. Ainsi, l’adaptation du contrat ou sa résolution pourra être repoussée sur une longue période.
La force majeure est définie par l’article 1218 du Code civil :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.) ».
L’imprévision et la force majeure ont en commun l’imprévisibilité de la survenance d’un événement postérieur à la conclusion d’un contrat, mais elles se distinguent en ce que la force majeure rend impossible l’exécution du contrat tandis que l’imprévision la rend excessivement onéreuse (Rapport du Sénat numéro 22 relatif à la loi 2018-287 du 20 avril 2018).
Ainsi, si l’exécution des obligations résultant du contrat n’a pas été rendue impossible mais seulement plus onéreuse, la force majeure ne pourra pas être invoquée. Il conviendra alors de se placer sur le terrain de l’imprévision.
Compte tenu de l’ampleur de l’épidémie, il pourra vraisemblablement être reconnu par le juge que la pandémie elle-même mais surtout ses conséquences (restrictions de déplacements, fermetures des frontières, interdiction des rassemblements, etc.) constituent un changement de circonstances.
C’est la démonstration du caractère imprévisible (à la date de signature du contrat) de ce changement qui sera plus délicate à établir.
En décembre 2019, la pandémie du Covid-19 était imprévisible. A compter du mois de janvier 2020, le caractère imprévisible sera évidemment plus délicat à démontrer.
En l’absence d’aménagement contractuel, le co-contractant qui entend se prévaloir de la révision pour imprévision devra démontrer que l’exécution du contrat a été rendue excessivement onéreuse par la pandémie ou ses conséquences.
Cette condition nécessitera la justification de l’onérosité excessive de l’exécution du contrat par la communication au juge de données financières et/ou comptables.